Lobbytomie - L’édito Justice du 27 novembre 2023
Il faut parfois dire lorsque les choses nous submergent, nous échappent, et nous touchent. C’est l’objet de cet édito. Une grande colère, une sourde tristesse, une immense incompréhension. À l’heure où j’écris ces lignes, nous découvrons - malheureusement sans surprise - que le Président de la COP28 pour le climat PDG de la compagnie pétrolière émiratie ADNOC a profité de son poste de chef de la diplomatie mondiale pour le climat pour engager des négociations commerciales avec 27 gouvernements pour pouvoir vendre son pétrole... Ceci quand le Commissaire européen du climat, le néerlandais Hoekstra, n’a toujours pas publié la liste de ses contrats pour McKinsey, agence de consultance qui a recommandé au même Al Jaber de porter des ambitions ridicules de réduction de la production pétrolière, quand nous avons tout simplement besoin d’en sortir.
La semaine dernière, les droites et extrêmes droites du Parlement ont, avec la complicité décomplexée d’une partie des libéraux, tué le Green deal, le tout sous l’égide et les applaudissements des lobbies. C’est un scandale qui peut-être ne fera pas la Une des journaux mais sur lequel je veux revenir tant il est grave et symptomatique.
D’abord les faits. Simples, basiques. Les eurodéputé·es se prononçaient mercredi sur le crucial règlement sur les pesticides. Le texte fixait un objectif de réduction de 50% de l’utilisation des pesticides et du risque des produits phytosanitaires d'ici à 2030. La communauté scientifique insiste d’ailleurs depuis longtemps sur l'impératif de réduire drastiquement l'usage de ces toxiques. Dans une lettre de juin dernier, 3300 scientifiques de toute l’Union déboulonnaient un par un les argumentsy fallacieux des droites. On pouvait y lire les phrases suivantes, sans ambiguïté: « Les opposants à ces nouvelles réglementations affirment qu'elles auront des effets négatifs sur l'agriculture, la pêche et la société en général, suggérant qu'elles menacent la sécurité alimentaire et qu'elles détruiront des emplois. Non seulement ces affirmations manquent de preuves scientifiques, mais elles les contredisent même. Dans ce contexte, nous demandons instamment aux décideurs politiques de poursuivre la procédure législative et nous invitons les opposants au Green Deal à une consultation ouverte avec les scientifiques ».
À ce consensus, s’ajoute évidemment la préoccupation des citoyennes et citoyens qui savent, à force de scandales, de malades ou de procès engagés contre Monsanto, l’impérieuse nécessité de sortir de la civilisation des toxiques. Je consacrais d’ailleurs une lettre d’information entière à ce sujet il y a seulement un mois. Déjà nous déplorions le recul indécent de la Commission européenne qui annonçait vouloir prolonger de dix ans l'autorisation du glyphosate, cet herbicide pourtant classé cancérogène probable par l’OMS depuis 2015. Malgré les preuves et les études scientifiques indépendantes, ici encore.
C’est un nouveau torpillage en règle de notre santé, de la planète et du vivant auquel nous avons assisté. Après que la droite a, amendement par amendement, sapé l’ambition du texte, après avoir contraint les écologistes à s'opposer à un document final vidé de sa substance et à demander son renvoi en Commission où il pourrait être renégocié… l’alliance des droites a refusé ce renvoi et par là-même, jeté le règlement à la poubelle. Les voilà, les faits. Simples, basiques. Mais aussi bruts, sales, pitoyables.
À chaque étape, les droites - que leurs diversités revendiquées n’empêchent visiblement pas de s’acoquiner et de se refaire la cerise sur le dos du vivant et des droits humains - déploient une énergie folle à affaiblir le Pacte vert. Des exemples? Il n’y a qu’à se baisser pour les cueillir, hélas. La droite a déjà fragilisé la loi sur la restauration de la nature (sauvée in extremis début juillet), bloqué la législation sur le bien-être animal, renouvelé ses vœux de fidélité et d’amour au glyphosate pour 10 ans, et s’apprête à soutenir une introduction irréversible, sans précédent ni traçabilité, de nouveaux OGM…
Ne nous leurrons pas : derrière ces capitulations et sabotages successifs, se cache - mal, très mal - l’œuvre des lobbies de l’agro-chimie, de l’agro-alimentaire, de l’agro-industrie.
Derniers faits d’arme en date: les pressions (sans précédent depuis le début de la mandature) qui ont été observées autour de la proposition de règlement sur les emballages alimentaires. Si le texte a échappé au sort funeste réservé aux pesticides, ce n’est pas faute d’efforts de la part des lobbies. La plus grotesque illustration de ces manœuvres grossières est signée McDonald’s. Ne renonçant à aucune outrance, la firme étendard de la malbouffe a carrément publié une étude bidon qui tentait d’expliquer que les emballages à usage unique avaient un « intérêt écologique ». Vous ne rêvez pas: ils ont osé. Il parait d’ailleurs que certains osent tout et que c’est même à ça qu’on les reconnait. Et sans surprise la droite a foncé tête baissée dans ces approximations (par ailleurs démenties par les scientifiques). Alors certes - et en ces temps plutôt sombres, ne boudons pas notre plaisir - même affaibli par les intimidations des lobbies, le texte a été adopté, et c’est une bonne nouvelle dans un océan de plastique et de renoncements.
Le risque est grand que nous soyons passés de l’ère des petits pas, à celle des grands reculs.
Je sais que nombre d’entre vous perdent momentanément espoir et se questionnent sur quel est le chemin à emprunter dans de telles circonstances. Alors pour finir, je veux quand même ici, malgré le choc et l’indignation, redire que nous ne lâcherons rien. Que, loin de nous décourager, les attaques portées par le front du refus écologique ne font que renforcer notre détermination à nous battre contre la lobbytomisation de la démocratie, et à défendre une vision plus juste et durable pour notre planète.
Justice, paix, écologie.